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Alice au pays des manifs

8 février 2014

Lettre ouverte : A vous tous, partisans de la manif du même nom

 

En m'apprêtant à écrire ce que j'ai besoin de partager, je dois me faire violence. Laisser l'ironie au placard, bâillonner ma colère, et ne pas abuser des violons larmoyants. Je dois vous parler aujourd'hui, non pas pour vous attaquer, non par pour présenter une argumentation chiffrée, mais bien pour vous confier mes craintes, pour vous livrer un petit bout d'existence perdue parmi tant d'autres. Un témoignage banal, mais ô combien libérateur.

 

Depuis plus d'un an maintenant, vous êtes apparus dans ma vie. Moi, jeune lesbienne, je vous observais de loin, ma demandant à quelle sauce j'allais être mangée. Vous êtes magnanimes et ne m'avez pas fait attendre longtemps : sous prétexte de défendre votre famille, vous vouliez détruire la mienne. Non, n'arrêtez pas de lire, ne levez pas les yeux aux ciel, ne prenez pas un air exaspéré. Ayez le courage de regarder les conséquences de vos actes dans les yeux, de réfléchir quelques minutes sur vos vraies motivations et sur l'impact de vos paroles et slogans.

 Je ne vais pas tourner autour du pot : vous me faites peur. Pour tout dire, vous me terrifiez. Votre Dieu, soi-disant rempli d'amour, n'a donc pas fait tous les hommes à son image, car vous me semblez bien en manquer pour votre prochain.

Comment vous faire comprendre que votre mode de pensée est nuisible, que vous prenez les armes pour la mauvaise cause ?

 

« Si on adopte le mariage pour tous, ça sera une preuve de déclin de notre civilisation »

« Le gouvernement veut "transformer les hommes en singes " »

« La pratique de l’homosexualité est un mal. Les personnes marquées par des comportements désordonnés sont appelés à un chemin de sanctification.»

« Horreur que ces unions illégitimes contre nature»

 

Et j'en passe. Voilà ce que j'ai retenu de votre manifestation du 13 janvier 2013. Ah, non, au temps pour moi, je me souviens aussi de ce « Je trouve la manif totalement réussie car nous avons pu prouver que nous ne sommes pas homophobes ». Évidemment, nous n'en avions pas douté une seconde, votre bienveillance est indiscutable.

Très sincèrement, car c'est une vraie question que je me pose : en quoi votre vie serait-elle transformée si un mariage gay avait lieu dans votre ville ? Pensez-vous que nous viendrions « contaminer » vos enfants (n'oublions pas que nous sommes tous atteints d'une dangereuse maladie mentale), ou cela porterait-il juste atteinte à votre conception de l'homme viril qui doit suer sang et eau pendant que sa femme (au foyer, s'entend) s'occupe des enfants en rangeant la maison ?

 Car ce que vous semblez avoir du mal à comprendre, c'est que votre sacro-sainte famille ne serait absolument pas modifiée si les personnes homosexuelles en fondaient une. Non, non, nous n'allons pas venir distribuer des tracts ventant les mérites de la famille homoparentale devant les écoles. Vous savez, je ne considère pas que les homos feraient forcément de meilleurs parents que les hétéros. Attention cependant : ils ne seraient pas pires. L'éducation ne dépend pas d'une sexualité, mais bien de ce que l'on veut transmettre à ses enfants, et de ce qui nous a été légué moralement. Donc non, les enfants d'homosexuel(le)s ne deviennent pas fatalement délinquants, fous ou homosexuel(le)s (quelle idée étrange...mes parents sont hétéros, je le précise). Eh oui, nos enfants peuvent être équilibrés et heureux. Je ne sais pas si vous avez remarqué cela, mais dans certains modèles de famille comme vous les aimez tant, Papa frappe Maman, et parfois les enfants y ont également droit. Des familles hétéros, oui madame.

 

Une « amie » m'a demandé, voyant ma tristesse après cette fameuse manifestation, pourquoi je tenais tant à me marier, en rajoutant qu'en plus, le mariage était en déclin (on admirera la pertinence de ces remarques). Personnellement, j'ai toujours admiré le mariage (eh oui, cette entité peut aussi être sacrée chez nous, les contre nature). Enfin, mettons-nous d'accord : pas le grand mariage religieux à l'Eglise, la communion des deux âmes avec Dieu etc. Non, vous m'en excuserez, mais je suis beaucoup plus terre-à-terre. Bassement prosaïque. Pour moi, le mariage est un lien indéfectible entre deux êtres, le mariage est une magnifique preuve d'amour. Et de l'amour, j'en ai à revendre. Et à donner à mes futurs enfants. Car oui, ne vous en déplaise, je désire en avoir, et ma compagne et moi ferons de très bonnes mères pour eux. Aimantes et attentionnées. Si certains d'entre vous veulent lire « elles eurent beaucoup d'enfants... et se marièrent » (Myriam Blanc), qu'ils ne se gênent pas ! (Bouh, la propagande homo !). Et nos enfants ne grandiront pas avec l'idée deux deux femmes les ont conçus : eh oui, les homos aussi ont quelques notions en anatomie et savent bien qu'un pénis et un vagin sont nécessaires, merci ! Vous savez, nous ne comptons pas élever nos enfants en leur apprenant que telle race, tel sexe, telle religion ou telle préférence sexuelle est le mal absolu. La tolérance sera un maître mot dans leur éducation, l'ouverture d'esprit un précepte-clé. Interrogez-vous par contre sur les valeurs de haine que vous transmettez à vos rejetons. Un enfant ne voit le mal que là où on le lui montre. Et si l'amour, c'est le mal, alors je ne comprends pas votre logique. Mon cœur se serre quand je vois vos petits bouts réciter (dans des manifestations qui plus est : et ce sont les homos qui sont des parents irresponsables?) tout ce discours homophobe que vous leur inculquez, tout ce rejet et cette intolérance.

 Car, dès l'annonce du semi-abandon (momentané, paraît-il) du projet de loi sur les familles, vous criez à la victoire. Mais...quelle victoire cela représente-t-il exactement pour vous ? Pour ma part, une victoire, cela serait la hausse des salaires, une baisse des impôts ou de meilleures conditions de travail. Une victoire, c'est quelque chose que l'on gagne, où l'on retire un quelconque bénéfice, quelle que soit sa nature. Qu'allez-vous retirer du fait que les homosexuel(le)s mettront plus longtemps à avoir des enfants ? Car ne vous leurrez pas, les familles homoparentales existent depuis longtemps. Et les enfants de ces familles ne comprennent pas votre acharnement et en souffrent. Car vos manifestations les pointent du doigt, les font passer pour anormaux, provoquent des moqueries là où elles n'ont pas lieu d'être. Vous attisez la haine, la propagez, telle une maladie destructrice dont vous êtes le virus, une bombe infernale dont vous allumez la mèche.

 C'est cela, votre victoire ? C'est provoquer la souffrance de milliers de jeunes gays et lesbiennes qui deviennent persuadés qu'ils font quelque chose de mal, quand ils ne recherchent que l'amour ? Tenez, encore un peu de propagande : vous pouvez écouter « toi t'en rêves » de Narcys. Mais lesquels d'entre vous joueront vraiment le jeu et s'intéresseront à mes références ?

 

Et si, un jour, votre enfant venait vous avouer son homosexualité, que feriez-vous ? Le chasseriez-vous ? Tenteriez-vous de le « soigner » ?

Pire encore : si votre enfant ne venait pas vous confier son « pêché », car persuadé que c'en est un et finissait par souhaiter sa propre mort pour ne plus subir de longues souffrances morales ? J'en profite pour citer le magnifique film qu'est « Prayers for Bobby » (« Bobby seul contre tous » en français) : « Avant de dire Amen chez vous ou dans votre lieu de culte, réfléchissez et souvenez-vous. Il y a un enfant qui vous écoute.» Mary Griffith.

 

Je souhaite également aborder un autre point qui me tracasse : vous pensez que nous sommes une minorité à ressentir tout cela, à vouloir nous battre pour nos droits. Rappelez-moi...Sur 66 millions de français, combien se trouvaient à votre dernière manifestation, le 2 février 2014 ? De 80 000 à 500 000. Même en vous accordant un (énorme) bénéfice du doute, le pourcentage obtenu ne joue pas en votre faveur majoritaire. D'ailleurs, regardez autour de vous : beaucoup d'hétérosexuel(le)s nous soutiennent et veulent que les mentalités évoluent. Je salue ces gens-là et les remercie. Alors non, les homosexuel(le)s ne veulent pas contrôler le monde, ni le gouvernement.

 

Pour finir, je vous dirai que j'essaie. Oui j'essaie de me mettre à votre place, de vous comprendre. Vous avez peur pour vos enfants, pour votre conception de la famille et ça, je peux l'entendre. Je peux comprendre quelques-unes de vos inquiétudes. Mais certaines de vos paroles tourneront dans ma tête et dans mon cœur pour longtemps encore. Certains de vos actes hanteront plusieurs de mes soirées, de celles où l'on n'arrive pas à fermer l’œil car trop inquiet pour l'avenir. Et je ne peux m'empêcher de me demander dans ces moments-là : si à cause de vous la France recule, est-ce que c'est parce que vous seriez jaloux de voir du bonheur dans une famille « hors-normes », alors que la vôtre, si conforme, ne vous apporte pas la joie espérée ? Pensez-vous que le bonheur se vole ? Il faut croire que oui.

Vous devez être bien peu heureux pour tenter d'empêcher les autres de l'être.

 

Mais mon bonheur, je le gagnerai. Vous savez, je garde espoir qu'un jour, les hommes finissent par se comprendre. Que le racisme, l'homophobie, le sexisme et le rejet de la différence disparaissent. Que les manifestations de demain servent à gagner des droits, et non pas d'en priver ses semblables.

 

J'aime à croire qu'ensemble, nous pouvons avancer, et gagner de belles victoires.

 

Des vraies.

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